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start-up IDELAM. © Frédérique PLAS - CNRS Images"
Spécialiste
des fluides supercritiques
Directeur de recherches CNRS et directeur de l’ICMCB (CNRS/Univ. Bordeaux/Bordeaux INP), Cyril Aymonier a bâti au fil des ans une expertise remarquable dans l’utilisation des fluides supercritiques. Ces fluides permettent entre autres de décomposer les matériaux composites qui sont notoirement difficiles à recycler. Ces travaux s’inscrivent notamment dans le PEPR, dans l’axe dédié au recyclage des matériaux composites.
Par Martin Koppe
De sa thèse à l’obtention de deux médailles du CNRS, Cyril Aymonier travaille sur la synthèse, la mise en forme et le recyclage des matériaux en milieux fluides supercritiques. Ce directeur de recherches est en effet un spécialiste mondial de la chimie dans ces milieux, qu’il a étudié à l’Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux, un laboratoire qu’il dirige à présent. Il travaillait alors sur leur utilisation dans des procédés d’oxydation pour le traitement d’effluents aqueux dangereux, une technologie inventée au MIT (États-Unis). Après deux années de post-doctorat en Allemagne, Cyril Aymonier a rejoint le CNRS en 2002 et s’est intéressé à la synthèse de matériaux dans les milieux fluides supercritiques.
Le chercheur a ensuite considéré le raisonnement inverse face aux matériaux composites. Conçus à partir de fibres noyées dans une matrice polymère, ils combinent robustesse et légèreté et ont trouvé beaucoup de succès dans les filières automobile et aéronautique. Leur cohésion a pour corollaire qu’il est extrêmement difficile de les décomposer une fois en fin de vie.
« Mon intérêt pour le recyclage de matériaux composites s’est développé à partir de 2009, quand j’ai été sollicité par Airbus et Safran suite à mes travaux sur l’hydrolyse de matrices époxy, décrit Cyril Aymonier. Nous avons donc travaillé ensemble sur le recyclage de matériaux composites à base de fibres de carbone. Ce projet a été extraordinaire tant sur la forme que sur le fond. À l’époque, les laboratoires s’intéressaient encore peu au recyclage, mais les partenaires industriels étaient particulièrement motivés. Ça m’a amené à réfléchir et à ajouter le recyclage à mes activités de recherche, un volet qui a pris beaucoup d’essor depuis. »
Aujourd’hui, on ne fabrique plus de matériaux sans penser à leur fin de vie et à leur recyclage, voire leur recyclabilité.
La richesse des applications des fluides supercritiques s’illustre bien par la cinquantaine de brevets déposés par Cyril Aymonier au cours de sa carrière, dont nombre d’entre eux ont été issus de collaborations avec des partenaires industriels. Une avalanche de résultats originaux qui ont valu au chercheur de recevoir à la fois la médaille de bronze et celle de l’innovation du CNRS.
Cyril Aymonier est aussi à l’origine de la création de la startup IDELAM, spécialisée dans le recyclage de matériaux complexes.
L’utilisation de fluides supercritiques pour le recyclage des matériaux composites passe par des réactions de solvolyse : c’est le solvant qui permet de rompre les liaisons chimiques qui assurent la cohésion du multimatériau qu’est le composite. « La solvolyse existe également à basse température, mais elle pose ensuite des problèmes de recyclage du solvant organique utilisé, précise Cyril Aymonier. La question disparaît dans des conditions supercritiques, car on peut employer de l’eau comme milieu de réaction. Elle permet d’hydrolyser la matrice polymère dans un solvant qui se comporte comme de l’hexane. »
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Fluides supercritiques ?
Amenés à des conditions de température et de pression au-delà de certaines valeurs, différentes pour chaque composé, les solvants adoptent un comportement intermédiaire entre le gaz et le liquide : on parle alors de fluides supercritiques. Ces conditions non conventionnelles changent radicalement certaines de leurs propriétés.
Par exemple, et à l’inverse de son comportement normal, l’eau portée à plus de 374°C et de 221 bars solubilise les huiles, mais ne parvient plus à dissoudre les sels.
L’eau fait même mieux, puisqu’elle dissout des matrices organiques en quelques dizaines de minutes, là où les procédés traditionnels prennent plusieurs heures. D’autres solvants, comme de l’éthanol, peuvent également être utilisés pour réaliser la décomposition des matériaux. Un contrôle précis des paramètres de pression et de température permet en effet d’amener d’autres solvants que l’eau dans des conditions supercritiques.
L’approche de Cyril Aymonier a donc d’abord trouvé le succès parmi les composés issus de l’aéronautique, un domaine particulièrement gourmand en matériaux composites de pointe. Le chercheur a depuis élargi ses horizons aux énergies renouvelables et s’intéresse par exemple au recyclage des pales d’éoliennes et des réservoirs à hydrogène.
« Les matériaux composites trouvent tout un tas d’applications; ils diminuent notamment l’impact environnemental des automobiles et des avions en permettant de les alléger, explique Cyril Aymonier. Mais leur principale limitation tient dans leur recyclage. Une fois décomposés, il faut trouver des débouchés à ces matières premières de recyclage. » Le chercheur mène par exemple des travaux pour retirer les fibres de carbone de la matrice sans les abîmer, afin de maximiser les possibilités de leur donner une seconde vie. Le problème se pose également pour les fibres de verre qui sont plus fragiles.
Nous bénéficions d’un consortium extraordinaire pour adresser tous ces défis.
Ces travaux ont logiquement conduit Cyril Aymonier à s’impliquer dans le volet du PEPR Recyclage dédié aux matériaux composites (projet Recycomp), coporté par Cyril Aymonier et Isabelle Capron, directrice de recherche à l’Inrae. Neuf laboratoires y sont réunis, chacun avec ses compétences, afin d’élaborer des matériaux composites plus faciles à recycler, de caractériser les produits après solvolyse et les valoriser dans de nouveaux matériaux. Des travaux plus fondamentaux, par exemple sur les interfaces entre les fibres et leur matrice, s’y déroulent également.
« Nous bénéficions d’un consortium extraordinaire pour adresser tous ces défis, se réjouit Cyril Aymonier. Recycomp veut faire entrer les matériaux composites dans une économie circulaire où chaque ingrédient se recycle dans des matériaux à leur tour plus aisément recyclables. »
Médaille de l’innovation
Cyril Aymonier a reçu le 12 décembre dernier, la médaille de l’innovation du CNRS pour ses travaux sur les fluides supercritiques.
Cette distinction honore des femmes et des hommes, dont les recherches exceptionnelles ont conduit à une innovation marquante, valorisant la recherche scientifique française.
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